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Au moment où la carrière ethnologique exige un terrain de recherche exotique, Marcel Griaule se sert de ses missions aussi bien pour faire ses preuves que pour satisfaire son goût des voyages lointains, conciliant ainsi science et aventure. Dans les années 1930, il se présente d’ailleurs comme l’héritier des explorateurs des siècles précédents et ses périples transafricains s’inscrivent dans le double prolongement des expéditions naturalistes du XIX^e siècle et des grandes traversées automobiles ou aériennes de l’Afrique, au début des années 1920 ^[6]. En France, cette aspiration à explorer des sociétés peu connues et difficilement accessibles est d’ailleurs partagée par la plupart des ethnographes africanistes de cette époque, comme le suggère leur adhésion massive à la Société des explorateurs à partir de 1937 ^[7], ou encore les nombreux récits de voyage qu’ils publient, à l’exception notable des femmes ^[8].

Dans les années 1930, l’ethnologie française entretient en effet des liens aussi étroits que contradictoires avec la littérature et le journalisme de reportage. Jusqu’en 1943, les publications de Griaule en sont les illustrations les plus frappantes avec deux types d’écrit, légitimés par le terrain ^[9] : d’un côté, des compilations de données brutes sur les jeux, les masques, les techniques, soit une soixantaine de monographies ou de notes scientifiques volontairement arides et impersonnelles, sans interprétation ni contextualisation ; de l’autre, environ vingt-cinq récits colorés de voyage ou d’enquêtes et plus de soixante tribunes de presse ou comptes rendus enflammés sur le conflit italo-éthiopien.

En 1935, Griaule obtient même le prix littéraire Gringoire réservé aux reportages pour Les flambeurs d’hommes ^[10], version romancée et flamboyante de sa première mission éthiopienne. L’année suivante, il est l’envoyé spécial de Paris-Soir auprès de l’empereur d’Éthiopie ^[11] et l’auteur d’une chronique ironique sur son action à la Société des nations ^[12]. En 1943, il publie enfin un récit de son voyage transsaharien, de ses survols aériens et de ses fouilles archéologiques lors de sa mission Sahara-Cameroun de 1936-1937 ^[13].